La prise de pouvoir de Jean V

L'accession de Jean V à la couronne ducale ne se fait pas sans mal. Elle se produit à l'issue d'une période troublée, pendant laquelle la Bretagne devient un enjeu politique entre nations concurrentes.

La Bretagne dans la guerre de Cent Ans

Revenons en arrière, une centaine d'années avant les débuts de la cathédrale actuelle. Nous sommes en 1341, et la mort du duc Jean III ouvre une guerre de succession qui va faire d'autant plus de remous qu'elle est contemporaine des luttes d'influence entre la France et l'Angleterre. On peut parler à ce sujet d'« épisode breton de la guerre de Cent Ans ».

L'un des prétendants à la couronne est Jean de Montfort. Celui-ci occupe rapidement Nantes, se fait dans la foulée reconnaître comme duc et se place sous la protection du roi d'Angleterre (moins par anglophilie que parce que son rival dans la course à la succession, Charles de Blois, est soutenu par le roi de France !)

Les Français relèvent l'affront, et se lancent à l'assaut de Montfort, et donc à la conquête de la ville de Nantes. Un siège s'installe, qui finit par parvenir à ses fins puisque la ville se rend. Charles de Blois s'y installe donc, s'attribuant ainsi le Duché.

Mais les anglais ne s'avouent pas pour autant vaincus, et on verra plusieurs contre-attaques au fil des années suivantes (1342 et 1355 seront des années particulièrement dures), qui font comme on l'imagine beaucoup souffrir les habitants des régions concernées sans pour autant modifier considérablement l'équilibre des forces en présence.

Sceau de Charles V (1366) au bas du traité de Guérande

Malgré tout, peu à peu le clan Montfort, allié à l'Anglais, gagne du terrain et de l'influence. Le traité de Guérande, signé en 1366, semble mettre fin aux luttes en accordant la couronne à Jean IV : mais son appartenance à la famille de Montfort lui vaut cependant la défiance de bien des seigneurs bretons, qui ne se souviennent que trop bien des épisodes anglais de leur histoire récente. Cette rébellion finit par pousser Jean IV à la fuite en Angleterre.

Que fait alors le roi de France Charles V, voyant le trône ducal vide? Il tente évidemment de s'en emparer : une annexion de la Bretagne pourrait renforcer considérablement ses propres positions. C'est là que le tournant se produit : les seigneurs bretons, après avoir chassé Jean IV, le rappellent pour qu'il empêche Charles de prendre la Bretagne... Entre deux maux, ils ont semble-t-il choisi le moindre.

Un dernier rebondissement intervient toutefois : Jean IV revient donc devant Nantes comme prévu, mais à la tête de toute une armée anglaise... ce qui lui vaut immédiatement la fermeture des portes de la ville. A nouveau il entreprend un siège, mais finit par composer avec le roi de France et les conditions nantaises sont acceptées.

Enluminure : Charles de Blois est fait prisonnier Enluminure : Les nantais rendent hommage à Jean de Montfort Enluminure : Sortie de Nantes

Les enluminures ci-contre illustrent cette période très troublée. Les documents d'origine se trouvent à la Bibliothèque nationale de France ou à la British Library de Londres. On y voit, sur l'une la ville de Nantes (le château) lors d'une tentative de sortie armée, et les deux autres, tirées des Chroniques de Jean Froissart, montrent la capture de Charles de Blois (bataille de Roche-Derrien, 1347), ainsi que l'hommage rendu par les Nantais à Jean de Montfort.

Ces images sont cliquables si vous souhaitez les agrandir.

L'arrivée de Jean V

On comprend mieux, après toutes ces péripéties, que par la suite le fils de Jean IV choisisse une voie aussi peu tranchée que possible entre les grandes factions en présence. Jean V va en effet louvoyer quelque peu entre les différents partis, maintenant ainsi la paix et permettant un réel développement économique.

On peut d'ailleurs voir dans la décision de bâtir une nouvelle cathédrale l'écho des espoirs d'une Bretagne qui a souffert, s'est déchirée, et retrouve enfin le calme et la prospérité dans une situation politique stabilisée.

Les premiers travaux de la cathédrale sont entamés en 1434, et on voit rapidement, en particulier dans les sculptures des portails, que le pouvoir ducal (commanditaire des travaux) entend transmettre clairement un message de légitimité, et asseoir son autorité relativement neuve et fragile par ce biais. J.M. Guillouët parle ainsi de « programme clairement politique des portails nantais » et écrit que « l'iconographie des portails de Saint-Pierre de Nantes trahit bien l'acuité des débats touchant à la légitimité et à l'assise du pouvoir ducal tout au long du XVè siècle. » (voir biblio)

Par ailleurs, les travaux de J-M Guillouët sur les choix iconographiques des sculptures ornant les portails montrent à quel point ces choix recouvrent très largement un sens politique autant que religieux.

C'est ainsi que l'importance accordée au culte de St Yves, à qui un portail entier est dédié (et quel portail! ...celui de l'entrée du Duc dans la Cathédrale lorsqu'il vient de son château!) est mieux comprise quand on sait que la figure très populaire de St Yves était avant tout associée à celle de Charles de Blois, rival malheureux de Jean IV pour le trône ducal et grand promoteur du saint de Tréguier. L'effort de « récupération » par les Montfort de la dévotion à St Yves est ainsi illustré sur les murs de la Cathédrale.

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